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21 décembre 2010

Les quatre morts de Jean de Dieu

les_4_morts_de_Jean_de_D523                          Les quatre morts de Jean de Dieu
   Andrée Chedid
   Roman
   Éditeur : Flammarion

  ISBN :978-2-0812-3351-5

 

Dernier ouvrage en date  d’une très grande Dame de la littérature francophone, les quatre morts  de Jean de Dieu  relate le destin d’un homme simple, enfant des métamorphoses de son temps, dont le parcours est magnifié par sa propre vision du monde.

À sa manière bien particulière,  Andrée Chedid donne à  son personnage une dimension emblématique des bouleversements du siècle précédent : Jean de Dieu naît dans les années vingt au sein d’une famille bourgeoise madrilène. Il reçoit une éducation très catholique comme il se doit, mais son passage au collège jésuite affine ses capacités de jugement et développe son sens du libre-arbitre.
Ainsi formé, Jean de Dieu est prêt à affronter les turbulences du Frente Popular, de l’exil, de l’adaptation à son nouveau pays…
Des amitiés  décisives orientent ses prises de conscience et l’aident à fonder ses certitudes. Jean de Dieu est un homme de conviction, un homme honnête parce qu’il n’acceptera jamais de transiger avec sa conscience, un homme droit et fidèle à ses idéaux autant qu’à l’amour d’Isabelita, la femme de sa vie avec qui il fonde une famille.
«  La première mort de Jean de Dieu s’était produite insidieusement, en suintant par étapes, à petits pas, comme une lente et mystérieuse hémorragie. Sa religion s’était évaporée, pudiquement, en silence, sans grande douleur. Au début, les autres n’avaient pas remarqué  la disparition de sa foi catholique. Lui-même n’en ressentait pas son absence. Comme le cancéreux qui ne constate la présence de sa tumeur que des années après que les premières cellules se sont nichées et multipliées en secret dans sa chair, Jean n’avait pas ressenti la perte progressive d’une partie importante de sa substance, de son tissu ancestral.… » ( extrait  page 45)


A
ndrée Chedid ne s’attache pas à détailler le parcours de son personnage principal. En fait, le cheminement de Jean lui fournit l’opportunité de jeter un regard distancié et même humoristique sur une période infiniment troublée :
«  Les optimistes prédisaient que le communisme ne durerait qu’une centaine d’années. Les pessimistes affirmaient plusieurs siècles. Certains optimistes et les très pessimistes ( qui souffraient peut-être du foie) disaient : «  c’est la fin du capitalisme. »
Mais comme très souvent l’Histoire nous joue des tours.… »
(extrait page 46)

L’écrivaine adapte son récit à l’image exacte du caractère de Jean de Dieu,   et choisit plus souvent l’ellipse poétique pour transmettre la puissance des certitudes, la volonté de résistance, l’intégrité des convictions.
«  En poésie comme en science, c’est l’étonnement, l’émerveillement devant le réel qui se révèle source de sens ». À force de s’obstiner à appliquer ses théories à sa vie quotidienne,  Jean de Dieu devient une figure  comme on en cherche souvent pour nous guider, un phare intellectuel pour éclairer les tempêtes idéologiques,   même si lui-même n’échappe pas aux tourmentes. En nous invitant à suivre le destin de son héros, Andrée Chédid nous convie à revoir l’Histoire du siècle passé à travers le filtre humain d’une famille comme il en existe tant…

Et puis en face de ce chef de famille intransigeant, craint autant qu’aimé par ses  proches,   nous découvrons la  figure de l’amour absolu, définitif et la dernière partie du roman reçoit  un tout autre éclairage.  Nous accompagnons tout au long du dernier quart du récit le  cheminement de sa veuve, entre chagrin et  révolte. Cette femme, soumise trop souvent à son mari aux yeux de leurs enfants, défendant à sa façon des convictions opposées, entraîne sa famille dans un ultime pèlerinage endeuillé.  Elle rencontre alors sa propre vérité comme un personnage de tragédie antique… La poésie  toujours sous-jacente à l’écriture d’Andrée Chedid surgit ainsi pour souligner l’intensité des sentiments :
«  En avançant elle tendait l’oreille pour entendre la rumeur de la mer. Elle se  remémorait la vision azurée, ample, luisante, étoilée de points lumineux de leur Méditerranée.
- Un bleu incomparable, affirmait Jean.
Sa voix semblait surgir des entrailles d’Isabelita, se perdre dans sa cage thoracique, se débattre pour franchir le larynx, pour éclore sur sa bouche et naître enfin au bord de  ses lèvres.
- Ce bleu d’entre les bleus, disait-il, ce bleu moucheté de lumière, ce bleu enluminé, chatoyant, moiré colorié. Cette moisson de lueurs, cette magie de reflets…
Elle se rappelait chaque mot de Jean, ils déferlaient l’un après l’autre brossant d’innombrables, d’inoubliables tableaux. « ( p 162)


Ce roman est passé  quasiment inaperçu dans la presse de la rentrée littéraire. À croire que l’on n’attend plus les ouvrages de cette poétesse dont l’œuvre considérable a largement contribué au meilleur des Lettres francophones.  C’est qu’Andrée Chedid n’écrit pas  pour être dans l’air du temps, elle s’inscrit plutôt dans la conscience de notre époque. Je vous convie à relire sur le site qui lui est dédié  ces lignes relevées au cours d’interview diverses :
Je veux garder les yeux ouverts sur les souffrances, le malheur, la cruauté du monde ; mais aussi sur la lumière, sur la beauté, sur tout ce qui nous aide à nous dépasser, à mieux vivre, à parier sur l'avenir.»

« C’est sans doute pourquoi j’ai toujours éprouvé ce besoin qu’une histoire ait un certain espace, presque comme un symbole, qu’elle soit toute simple, mais qu’elle contienne à l’intérieur quelque chose de tout un monde qui nous englobe un peu tous. »

André Chedid n’est pas seulement l’aïeule d’une tribu de musiciens populaires.
Née en 1920 au Caire dans une famille d’origine libanaise, elle s’est illustrée dès 1949 par ses recueils de poésie, offrant des textes lumineux et rigoureux. Ses romans n’ont rencontré  de véritables succès publics qu’à partir des années 60,  notamment avec Jonathan et Le sixième jour, puis L’Autre en 1969, La Cité fertile (un de mes préférés), L’enfant multiple
Son écriture fluide, à la fois  lyrique et  dépouillée parfois à l’extrême   lui permet d’exceller dans l’art de la nouvelle : L’étroite peau (1965), Derrière les visages (1983), Monde miroirs magie (1988)… Sa bibliographie est aussi vaste que sa réelle générosité. Elle a longtemps enseigné la poésie en Suisse et est reconnue partout dans le monde une créatrice universelle. Il serait dommage qu’on l’oublie.

Site officiel Andrée Chedid:

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