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13 novembre 2009

L'immeuble Yacoubian

immeuble_Yacoubian389

L’immeuble Yacoubian

Alaa El Aswany

Traduit de l’Arabe égyptien par Gilles Gautier
ISBN 978-2-7427-6934-6
Éditeur Babel  octobre 2007     (Actes Sud 2006)



La réputation de ce premier roman du  dentiste devenu écrivain, Alaa El Aswany, est déjà parvenu dans tous les cercles de lecteurs de la planète.  Consécration manifeste, il a déjà été adapté au cinéma par Marwan  Hamed en 2006. 
Cet immeuble Yacoubian, du nom du millionnaire Hagop Yacoubian, qui l’a fait ériger dans le Caire cosmopolite des années 30, est devenu emblématique de l’histoire de l’Égypte : les fastes  de l’entre-deux guerres, gérés grâce à la présence des Anglais et des capitaux internationaux, ont été peu à peu aspirés par la lente spirale de déliquescence que l’ère Nasser puis les troubles du Moyen-Orient ont durablement installée.

Ce symbole d’une époque révolue traduit par son architecture les fractures sociales : en bas, sur la terrasse, les  garages et les remises, qui servaient à loger le personnel de maison, sont devenus des logements sordides que les Cairotes démunis louent à prix d’or à une mafia dénuée de scrupules.  Aux étages supérieurs, les appartements, toujours immenses, sont loués  de toute éternité à des  représentants d’une classe moyenne dont l’aisance devient toute relative au gré du temps.  Cet immeuble s’impose comme le miroir de la  hiérarchie sociale. Il devient le décor presque exclusif de cette fresque narrative, où les différents membres de cette micro-société se côtoient et s’efforcent de  tirer le droit fil de leurs destins. Ce qui s’avère ardu et périlleux pour tous, même pour les plus nantis d’entre eux.

Au long des 325 pages du récit, nous allons donc suivre les espoirs et les peines de Taha, le fils du concierge, qui poursuit son rêve d’intégrer l’école de police. Le jeune homme subit deux désillusions sévères quand il est confronté à la discrimination sociale plus forte que ses mérites personnels et l’attitude incompréhensible de son amie Boussaïna, dont la froideur nouvelle à son égard le laisse désemparé. Taha sortira de sa dépression pour suivre les cours de la Faculté, ce qui lui permet d’entrer en contact avec Khaled, étudiant comme lui. Les déceptions de Taha, l’amertume et la conscience de l’injustice subie  le sensibilisent aux discours rigoristes du cheikh Chaker… On suivra jusqu’au bout son initiation et sa renaissance dans une vie éclairée par la loi de Dieu et son  nouveau mentor… Tandis que le destin de Boussaïna se joue sur l’apprentissage délétère des rapports de force entre femmes pauvres et employeurs. Ceux-ci s’octroient des privilèges aussi vieux que le monde et Boussaïna est obligée de se blinder pour affronter des assauts contre lesquels nul ne la protège, jusqu’à sa rencontre avec… Mais non, si je  ne vais pas vous révéler davantage qui pourrait représenter la lumière au bout du tunnel, quand même…
Dans le même temps, nous suivons aussi les démêlés de Hatem, journaliste influent, qui cache dans son bel appartement ses nuits chaudes avec son amant Abd Rabo. Celui-ci ne partage pas la passion de Hatem, il est marié dans son lointain village et ce sont les contraintes du service militaire, et  la misère de sa famille de paysan qui l’incline à accepter les largesses de l’intellectuel, pour pourvoir au bien-être de sa femme et de son enfant.  Marchandage malheureux,   cette relation semi clandestine prépare le lit du drame. L’argent de Hatem provoquera la tragédie ultime…
À ces destins difficiles, nul n’échappe. Pas même  Azzam et ses affaires douteuses, ses combines électorales et sa passion soudaine pour Soad, qu’il épouse secrètement pour satisfaire son démon de midi, mais à qui il refuse l’enfant qu’elle voudrait lui donner… Là encore, le désir, la concupiscence, les calculs de l’un et de l’autre, se conjuguent pour nouer une confrontation jusqu’au point de non-retour…

Alors est-ce le bien heureux Zaki Dessouki, dernier héritier d’une famille qui appartenait naguère à l’aristocratie cairote, qui nage dans le bonheur et l’opulence ?     Zaki a connu des jours sans souci et s’efforce de maintenir contre vent et marée un style de vie digne de ses ascendances. C’est compter sans l’avidité de ceux qui l’entourent, en particulier son fidèle Abaskharoun valet homme à tout faire et mauvais ange qui veille  jalousement sur son maître. Zaki pourrait bien être victime de ses penchants notoires : l’alcool, les femmes, sa sœur Daoulet
Parmi tous les personnages qui se croisent encore autour de l’immeuble Yacoubian, bien peu réussissent à atteindre le bonheur ou la stabilité : toutes les situations sont précaires, installées au bord d’un gouffre de désir, de passion, d’envies et de haine parfois. Mais chacun d’entre eux a une vie, un but, une rage de vivre que Alaa El Aswany dépeint avec empathie. Sa plume ne juge pas, elle dévoile un moment, un aspect de la problématique. Certes, tous ne sont pas sympathiques, ni même fréquentables, mais ils font indéniablement partie du tableau comme les paysans des tableaux de   Breughel. De sorte que le lecteur tremblera pour Taha, Soad ou Boussaïna et détestera cordialement Azzam ou le marchand Talal qui exploite honteusement son personnel féminin. Le roman est porté par  un souffle d’humanisme qui transmet une vision généreuse de cette société.
En revanche, due à la langue et sa traduction peut-être,   je confesse qu’il m’est arrivé d’avoir du mal à m’y retrouver dans le foisonnement des personnages, dans la description du contexte social et historique de l’Égypte actuelle,   je me suis ennuyée parfois au cours des digressions culturelles sur les rôles respectifs des amants au cours de leurs rapports sexuels. Sans doute ai-je tort de lire rarement  d’une traite les romans que je choisis, puisque je ne consacre que mes soirées à la lecture. Mais il m’a semblé que certaines précisions apparaissent comme d’inutiles longueurs, même si on y devine l’intention culturelle de l’auteur.

J’ai lu qu’Alaa El Aswany poursuit sa double profession de dentiste écrivain, considérant qu’il soigne autant les mâchoires  de ses patients que leur âme. Belle destinée en vérité, habituellement les mots s’échappent de la  bouche. Chez le dentiste, c’est là que l’écrivain puise son inspiration. Voilà qui ne manque pas de mordant.



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Commentaires
O
Effectivement nos impressions de lecture sont très proches. Un effet de balançoire entre empathie et lassitude… Mais au fait, n'est-ce pas là que se situe l'esprit moyen oriental, un bouillonnement incessant, un brassage de couleurs, de mouvements, de personnalité…Et nous, pauvres lecteurs européens et cartésiens, nous sommes un peu perdus dans ce foisonnement.<br /> <br /> Merci pour ton passage sur lecturesdo. Je vois que ton site est très riche, je reviendrai explorer tes notes aussi.
L
Je découvre ton blog au hasard de mes recherches sur ce roman. Je te félicité pour ta critique très complète sur ce livre qui n'a pas emporté mon enthousiasme entier... J'ai trouvé toutes les situations légèrement exagérées, créant un effet artificiel. Mais il reste intéressant!
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