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28 février 2014

L'art français de la guerre

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L’Art Français de la guerre

Alexis Jenni

Gallimard (NRF) 2011

Prix Goncourt 2011

ISBN : 978-2-07-013458-8

 

Un titre à priori rebutant, une surprise à la publication des prix littéraires 2011, j’avais classé  ce roman « paradoxe »  sur la liste du Père Noël… Avant de le laisser prudemment mûrir dans la pile des « En attente ». Tel est le destin des livres dont on attend beaucoup en étant certain d’être déçu. Et puis  vient le jour où  il faut bien la bouger, cette tour de briques papivores branlantes. Je me suis donc décidé à ouvrir le lourd volume ( plus de 600 pages, ça pèse) au titre conquérant et barbare.

Des conquêtes, vous n’en verrez guère, sinon peut-être celle de la désillusion et de l’amertume. L’art de la guerre est bien celui de la perdre, au sens moral autant que militaire.   On pourrait n’y rien voir et n’y rien comprendre ; on pourrait laisser dire les mots : il guerre comme il pleut, et c’est la fatalité. » ( page 23). Pour illustrer son propos, Alexis Jenni met en pages deux anti-héros, l’un narrateur  désabusé « réfugié » dans sa ville natale pour fuir un sentiment généralisé d’échecs. Cet état d’esprit désillusionné ne l’empêche pas de rencontrer un ancien légionnaire taiseux, dont il découvre par hasard sur une brocante le don de dessinateur. Cet ancien soldat à la réputation sulfureuse [ «  Tu vois, l’homme au journal qui occupe toute la place, c’est un ancien d’Indochine. Et là-bas, il en a fait, des trucs. » page 33] va se révéler à l’opposé de l’image vulgarisée des durs de dur. Progressivement, les deux hommes vont échanger leurs talents respectifs : notre narrateur recueillant le témoignage de Victorien Salagnon, combattant des deux guerres coloniales perdues au XXème siècle,  tandis que celui-ci tentera de transmettre au premier les secrets de son art immémorial. Par la recherche permanente du geste minimal qui rendra aux traits épurés la quintessence du sujet, Alexis Jenni pose un postulat : la réalité des faits ne se suffit pas, il faut en chercher la vérité au plus profond de soi, et tenter de s’accorder avec les multiples facettes mises à jour.

Le sujet est longtemps resté tabou. Ceux qui l’ont faite, cette « guerre de vingt ans », selon le raccourci saisissant de l’auteur, ont évité d’en parler pendant longtemps. Ceux qui ont échappé au service obligatoire, par choix ou par opportunité ( trop jeunes, trop vieux, réformés) , ont pu exprimer toute une palette de pensées et de sentiments. Mais qu’on l’accepte ou non, la nation française n’est pas sortie indemne des deux conflits, et si deux générations au moins ont pu ignorer ce que désignait l’ Indochine ( Laos, Siam, Cambodge, l’actuel Vietnam recouvrant les royaumes d’Annam au centre, Tonkin au nord et Cochinchine au Sud), il est difficile dans notre contexte actuel de nier les séquelles de la guerre d’indépendance Algérienne. Le roman d’Alexis Jenni a le mérite de revenir sur ce conflit et ses tabous, sans les excuser mais en essayant d’humaniser le point de vue concernant  l’engrenage de violences qui conduit des hommes à endosser le rôle des barbares. Ce roman ne réglera pas la question, pas plus que toute la littérature ou les documentaires qui tentent d’éclairer les « événements », mais il constitue peut-être  une pierre à l’édifice mémoriel.

«  Nous avons appris que l’âme la plus ferme peut se détruire d’elle-même quand elle se morfond. » (page 627)  L’autre point majeur  soulevé, l’art peut-il sauver de la barbarie,  l’Art peut-il exonérer le bras qui torture de ses remords, est incarné ici par le destin de Salagnon, qui jusqu’au bout du roman, ne se départ pas d’un « nous » solidaire face au compagnonnage encombrant. Alexis Jenni ne tente pas de répondre à la question récurrente de l’engagement, on aura vite compris que ce sont les circonstances qui forgent le héros, ou du moins l’homme responsable de ses actes : (page 288) : «  Ils m’effraient ces types parce qu’ils préfèrent montrer du rouge vif plutôt que de sauver leur peau en se cachent. Ils n’étaient plus que la hampe qui tient le drapeau et ils sont morts. C’est ça l’horreur des systèmes, le fascisme, le communisme : la disparition de l’homme. Ils n’ont que ça à la bouche : l’homme, mais ils s’en foutent de l’homme. Ils vénèrent l’homme mort. Et moi qui fais la guerre parce que je n’ai pas eu le temps d’apprendre autre chose, j’essaie de me mettre au service d’une cause qui ne me paraît pas trop mauvaise : être un homme, pour moi-même. « 

 

Accessible, soutenu par une écriture vivante, ce roman mérite le détour, malgré la gravité du sujet, ou pour elle, selon votre humeur. 

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