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22 août 2013

Les chemins noirs

Les chemins noirs109

Les chemins noirs

René Frégni

Folio

ISBN : 978-2-07-038484-6

 

Édition originale : 1988

 

 

 

Le premier roman de René Frégni augure bien de la matière dont l’auteur tisse son œuvre. Il faut entrer chez René Frégni avec simplicité et bienveillance, pour être cueilli par l’émotion de sa langue. Écrivain autodidacte proclamé, l’auteur de ces chemins noirs puise dans sa propre expérience l’histoire de ce « pauvre type », un de ces êtres qui font toujours les mauvais choix, et que ses options enferrent toujours plus bas, plus loin, hors des limites du réversible.   Mais la poésie, la force de la langue, le charisme de l’écrivain transcende la descente aux enfers de René Brandoli : le lecteur ne peut manquer de ressentir  de l’empathie devant tant de malchance, de mauvaises rencontres,   un enchaînement implacable  de désastres.

René Brandoli donc est un jeune homme sans doute un brin asocial dès le départ : le roman débute  vers la fin des années 60, par son arrestation pour désertion, et son transfert à la garnison de Verdun pour y couler sa peine.  La nature « bonasse » du garçon s’étonne : «  J’ai donc changé pour la troisième fois  de fourgon et de gendarme. On était aux petits soins. On me faisait visiter la France gratis, avec ses jolis hameaux qui somnolent dans la vapeur des labours et toutes ses vignes qui ondulent à perte de vallons et qui roussissent vers l’horizon, là où l’ombre déjà dépose sur les champs ses premiers coins d’hiver. » (Pages 12-13). L’arrivée à la caserne est l’occasion d’ajouter une pointe d’humour à une situation pourtant guère prometteuse :

… «  Les autres commençaient à se bidonner autour.

                —  Mais tiens-toi droit, bordel de dieu ! Rentre ton ventre…Rentre tes fesses !…Serre les talons !…Mieux que ça …Plus haut le menton ! Encore plus haut ! Tes fesses bordel !… Regarde- moi dans les yeux ! Là les yeux. Non mais, qu’est-ce qui m’a foutu un engin pareil… C’est les yeux ou le corps que t’as de  tordu ? Rentre ton cul !

Je me tortillais dans tous les sens sans trouver le bon. » Page 15

 

Cette introduction afin d’ établir   la distance dont usera ensuite le narrateur face aux horreurs qui l’attendent, sans ajouter de  pathos dans la description de l’univers carcéral de la garnison, première porte de l’enfer.  Largement inspiré par son vécu, René Frégni se garde de chercher l’apitoiement gratuit du lecteur. L’univers qu’il décrit est pourtant dur,   la promiscuité intolérable, la bêtise le disputant au sordide. Pourtant, René Brandoli, le personnage, parvient une première fois à se tirer du cachot… Mais quand la poisse s’accroche aux basques, c’est comme s’il devenait le bouc émissaire de toute sa génération. Voilà notre René confronté aux désillusions de l’amour…Et à l’explosion littérale de son avenir !

Les péripéties vont alors s’enchaîner sur un rythme très soutenu.  C’est la part  du roman d’aventures, qui jette le jeune homme sur les routes les plus hasardeuses, avec pour horizon toujours les mêmes rencontres  improbables, les mêmes alternatives risquées. Mais si le narrateur ne gagne rien en sagacité, du moins pratique-t-il avec assiduité l’art de la fuite vers le prochain traquenard.

Ces chemins noirs déroulent alors la facette du carnet de route façon road movie, de Corse en Italie, d’Italie au Monténégro pour se frotter à un monde  resté ancré au Moyen -Âge, en passant par la Turquie où l’attendent les premières utopies hippies, retour par la Grèce des petits chemins, en charge d’âme pour la première fois. Et la tendresse  donne enfin le  change à la malchance. Notre fugueur apprend  à protéger, quel revirement !  Les deux René se rejoignent alors dans la même quête. Comme l’auteur, le personnage devient infirmier dans un hôpital psychiatrique. Occasion  pour l’auteur de révéler une troisième nature de son récit : la tendresse pour ses frères d’infortune, exprimée par un savoureux équilibre sur le fil de l’émotion et du sourire, la tension du pathétique assouplit par une distance quasi puérile. Le personnage n’en finit pas d’apprendre la Vie, mais la garce lui prépare encore d’autres tours…

 

J’ai rencontré il y a peu René Frégni lors d’une lecture publique de son dernier roman, Sous la ville rouge ( NRF Gallimard). La malice du Monsieur, son charisme et son attention à l’autre ne sont pas feints.  Ce qui nourrit incontestablement la poésie de son écriture, qui montre combien la qualité des mots sert une imagination truculente. Un livre idéal pour se délester des lourdeurs de nos quotidiens, plage, jardin ou longue soirée d’hiver, n’hésitez pas, le voyage sera éclairé par l’aura des images et la nervosité efficace  de la narration.

«  Je suis descendu au bord des vagues. J’ai fait deux trois cents mètres  l’eau jusqu’aux mollets pour la trace et puis je suis remonté sur le sable, là où il est le plus dur parce que la mer le tasse à chaque coup de langue. J’ai trouvé mon rythme : vif et régulier. Le sol portait ferme. J’avais dans le corps encore assez de peur pour tromper la fatigue.

(…)

Dans la pénombre, j’avalai de la plage. Les vagues couvraient mes pas. C’est l’amie du fuyard, la vague. Pas de bruit, pas de trace. Sitôt passé, sitôt léché. Une mer qui veille sur chacun de vos pas. Mon fils un assassin ? Blanc comme neige ! Elle se ferait couper en deux. Elle en démord pas la vague. Et la boue noire qui gantait mon corps faisait un morceau de nuit à peine plus pressé que le reste. «( Page 166-167) 

 

 

«  Quand je m’éveillais, le soir tombait sur la ville. Elle était bleue cette  ville le soir. Un peu comme Marseille quand on traîne sur le Vieux- Port  à l’heure où il s’allume. » ( Page 209.)

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